“ Qu'est ce que tomber amoureux? C'est l'état naissant d'un mouvement collectif à deux ” p 9
“ Il n'existe pas de mouvement collectif qui ne parte d'une différence, il n'existe pas de passion amoureuse sans la transgression d'un interdit. Non pas une différence et une transgression déterminées mais n'importe laquelle. Ce qui sépare et ce qui est transgressé diffère chaque fois.(...) l'amour ne se manifeste que s'il sépare ce qui était uni et que s'il unit ce qui était séparé. Selon le structuralisme de Lévi-Strauss, s'instaure un autre système de différences et d'échanges.
Nous pouvons ainsi mieux comprendre les limites de ce qu'écrivait Denis de Rougemont. Selon lui, l'amour se présente toujours en Occident comme un amour défendu, contrarié. En réalité ces obstacles sont voulus, désirés. Il affirme que les amants ne s'aiment pas vraiment, qu'ils trouvent leur plaisir dans la séparation, qu'ils ne sont heureux que s'ils se consument pour l'impossible. Il est vrai que dans la littérature, l'amour est entravé ou irréalisable (Dante, Pétrarque, Shakespeare, Goethe, etc.) mais la raison en est peut-être celle-ci: s'il n'y a pas d'obstacle, il n'y a pas non plus de mouvement, personne ne peut donc tomber amoureux.
(...) Ce qui compte, en conclusion, n'est pas tel genre particulier d'obstacle, mais l'existence d'un obstacle. S'il résidait autrefois dans la structure de parenté, par la suite il résidera dans un premier mariage, dans une foi politique, dans une diversité culturelle ou linguistique, ou dans une différence d'âge, ou même dans une déviation sexuelle, comme dans le cas de l'amour homosexuel. La passion amoureuse entraîne toujours la construction de quelque chose à partir de deux structures distinctes.
(...) Avant qu'il ne tombât amoureux, quelle relation l'individu entretenait-il avec sa famille, sa classe, son église, son conjoint, son groupe ethnique ou linguistique, c'est à dire ceux avec qui sa passion amoureuse va l'obliger à rompre ? On peut supposer qu'il y ait dans un premier temps une relation agréable ou du moins acceptable, jugée normale, légitime. Il est vrai que dans tous les rapports humains, quel que soit leur genre, il y a toujours une frange plus ou moins grande d'insatisfaction, de déception; il existe toujours une ambivalence. Dans la famille, l'enfant aime son père et sa mère, il aime ses frères, il aime aussi sa famille comme une unité. La famille est un objet collectif d'amour mais aussi un lien de tensions et de frustrations, de ressentiments et d'agressivité. Objet d'amour en même temps que d'agressivité, donc ambivalent.
(...) Cette rancune, cette haine ne se manifestent pas ouvertement. Même s'il y a ambivalence, l'image du père, de la mère, de la famille, restent positives. Car il y a en nous le désir de conserver, le plus longtemps possible, notre objet d'amour pur, sans tache (non ambivalent). L'image que l'enfant se fait de sa mère, de son père (...) est une image parfaite.
(...) Mais c'est lorsque les choses qui nous entourent changent, quand nous-mêmes nous changeons (par exemple au cours de l'adolescence), quand nous rencontrons d'autres possibilités, d'autres réalités, quand nos rapports avec nos objets d'amour se détériorent, il nous devient alors de plus en plus difficile de garder cette image idéale tout au long de la dépression et de la projection.” p 27-28
“ L'adolescence est la période de la vie au cours de laquelle l'état naissant se manifeste le plus fréquemment. Et l'on comprend pourquoi: l'adolescence est la période qui marque le passage de l'enfance et de la famille de l'enfance au monde adulte, et à toute sa complexité. Si l'état naissant sépare ce qui est uni et unit ce qui est séparé, aucun âge mieux que l'adolescence ne se prête à l'accomplissement de cette opération. On se sépare de sa propre famille, de son monde, des valeurs, des émotions et des croyances enfantines pour aimer et s'unir à d'autres personnes, mais aussi à des partis, à des groupes, à la politique, à la science. L'adolescence représente donc l'âge où continuellement, on expérimente les frontières du possible. L'adolescence est l'âge des coups de foudre, l'âge où se déroulent, sans cesse, des unions et des séparations dans une succession de révélations et de déceptions.
Lorsqu'on affirme que tomber amoureux sied à l'adolescence et à la jeunesse mais plus du tout aux autres âges de la vie, on ne se borne pas à constater un fait. On ajoute aussi que c'est déplacé, que ce n'est pas convenable, que cet accident ne devrait pas se produire. (...) Ce qui est permis à l'adolescence, c'est à dire rompre avec sa famille, est maintenant interdit. ” p 92
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire