“L'Intraitable” cf p29
AFFIRMATION. Envers et contre tout, le sujet affirme l'amour comme valeur.
1. En dépit des difficultés de mon histoire, en dépit des malaises, des doutes, des désespoirs, en dépit des envies d'en sortir, je n'arrête pas d'affirmer en moi-même l'amour comme une valeur.
Tous les arguments que les systèmes les plus divers emploient pour démystifier, limiter, effacer, bref déprécier l'amour, je les écoute, mais je m'obstine: “Je sais bien, mais quand même...” Je renvoie les dévaluations de l'amour à une sorte de morale obscurantiste, à un réalisme-farce, contre lesquels je dresse le réel de la valeur: j'oppose à tout “ce qui ne va pas” dans l'amour, l'affirmation de ce qui vaut en lui. Cet entêtement, c'est la protestation d'amour: sous le concert des “bonnes raisons” d'aimer autrement, d'aimer mieux, d'aimer sans être amoureux, etc., une voix têtue se fait entendre qui dure un peu plus longtemps : voix de l'Intraitable amoureux.
Le monde soumet toute entreprise à une alternative; celle de la réussite ou de l'échec, de la victoire ou de la défaite. Je proteste d'une autre logique: je suis à la fois et contradictoirement heureux et malheureux: “réussir” ou “échouer” n'ont pour moi que des sens contingents, passagers (ce qui n'empêche pas mes peines et mes désirs d'être violents); ce qui m'anime, sourdement et obstinément, n'est point tactique: j'accepte et j'affirme, hors du vrai et du faux, hors du réussi et du raté; je suis retiré de toute finalité, je vis selon le hasard (à preuve que les figures de mon discours me viennent comme des coups de dés). Affronté à l'aventure (ce qui m'advient), je n'en sors ni vainqueur ni vaincu: je suis tragique.
(On me dit: ce genre d'amour n'est pas viable. Mais comment évaluer la viabilité ? Pourquoi ce qui est viable est-il un Bien ? Pourquoi durer est-il mieux que brûler ?)
2. Ce matin-là je dois écrire de toute urgence une lettre “importante”_dont dépend le succès d'une certaine entreprise; mais j'écris à la place une lettre d'amour_que je n'envoie pas. J'abandonne joyeusement des tâches mornes, des scrupules raisonnables, des conduites réactives, imposés par le monde, au profit d'une tâche inutile, venu d'un Devoir éclatant: le Devoir amoureux. Je fais discrètement des choses folles; je suis le seul témoin de ma folie. Ce que l'amour dénude en moi, c'est l'énergie. Tout ce que je fais a un sens (je puis donc vivre, sans geindre), mais ce sens est une finalité insaisissable: il n'est que le sens de ma force. Les inflexions dolentes, coupables, tristes, tout le réactif de ma vie quotidienne est retourné.
4. Il y a deux affirmations de l'amour. Tour d'abord, lorsque l'amoureux rencontre l'autre, il y a affirmation immédiate (psychologiquement: éblouissement, enthousiasme, exaltation, projection folle d'un avenir comblé: je suis dévoré par le désir, l'impulsion d'être heureux): je dis oui à tout (en m'aveuglant). Suit un long tunnel: mon premier oui est rongé de doutes, la valeur amoureuse est sans cesse menacée de dépréciation: c'est le moment de la passion triste, la montée du ressentiment et de l'oblation. De ce tunnel, cependant, je puis sortir; je puis “surmonter”, sans liquider; ce que j'ai affirmé une première fois, je puis de nouveau l'affirmer, sans le répéter, car alors, ce que j'affirme, c'est l'affirmation, non sa contingence: j'affirme la première rencontre dans sa différence, je veux son retour, non sa répétition. Je dis à l'autre (ancien ou nouveau): Recommençons.
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